Le funk du Brésil, une culture populaire sulfureuse
Si l’on vous dit funk, vous penserez sûrement à James Brown, la Nouvelle Orléans, les 50’S,… Mais aujourd’hui le funk ce n’est pas que ça, et encore moins au Brésil !
Probablement l’un des styles musicaux les plus populaires, le funk brésilien anime les soirées de toute une génération du pays, et s’est aujourd’hui largement imposé à l’international. Il est presque impossible de l’éviter si vous voyagez à travers le Brésil. Que ce soit dans la rue, les magasins, les bars, ou les fêtes, le funk est partout.
Un rythme effréné, une musique électronique doublée de paroles plus ou moins éloquentes, et surtout une ambiance sulfureuse, le funk brésilien fait l’apologie de la désinhibition. Né dans les favelas de Rio de Janeiro dans les années 90, le funk est initié par des influences diverses, brasse et combine des styles musicaux variés. Au départ fortement imprégné de revendications sociales et politiques, le funk brésilien tend aujourd’hui plus vers un style commercial hyper-sexualisé.
Zoom sur le funk du Brésil, plus qu’un style musical, une culture à part entière, largement relayée à l’international, qui mérite d’être explorée au cours d’un voyage au Brésil.
Le funk, l’un des milles courants musicaux du Brésil
Le Brésil est une terre de fusion, à la créativité infinie. On ressent cette abondance dans sa large culture musicale. Découvert par les européens il y a environ 5 siècles, le Brésil est considéré comme un pays jeune. Et pourtant, c’est un véritable territoire-continent, dont la richesse culturelle est proportionnelle à sa superficie. La musique est l’une des branches les plus fournies, les genres musicaux ne se comptent plus au Brésil. Intimement liés à l’anthropologie, les styles se multiplient et évoluent au rythme des époques. Entre tradition et art populaire, la musique au Brésil est immensément variée, et très présente dans la vie quotidienne. Le pays est même qualifié d’anthropophage, il s’approprie les mouvements culturels étrangers pour les remasteriser à la mode brésilienne. L’un des plus beaux exemples, le mouvement tropicaliste des années 60. Le Brésil est un pays hybride, qui fait fusionner des origines variées, et c’est ce qui en fait sa beauté.
Musique traditionnelles brésiliennes et funk
L’Histoire coloniale du Brésil marque en premier les courants musicaux du pays.
Les musiques traditionnelles sont plus largement influencées par les cultures africaines, patrie-mère des 45% d’afro-brésiliens de la population nationale. Gilberto Gil, Caetano Veloso, mais aussi Seu Jorge, tous ces grands noms sont originaires de Bahia, la Rome Noire du Brésil, premier port de commerce d’esclaves.
Samba, Axé, Forró, Pagode, Rap, Rock, le Brésil est avide de tous les genres et de tous les styles. Sa configuration étatique lui confère un folklore prononcé et vivant. Très appréciées des brésiliens, les célébrations régionales marquent une nouvelle diversité au cœur d’un pays déjà extrêmement riche de son Histoire. Ajouté à toutes ces cultures différentes, les influences internationales viennent remuer encore plus ce joli mélange des genres. Les courants hip-hop et rock n’ont pas épargné les frontières brésiliennes. Le pays se les sont très vite appropriés avant de les personnaliser et de les imbriquer à d’autres styles existant.
Le Brésil s’alimente en permanence de ses multi-cultures, historiques, nationales, internationales, des associations se créent en permanence. C’est un terrain extra-fertile pour les arts, les styles musicaux sont donc immensément variés. On sait faire la fête au Brésil, et comme nul part ailleurs !
Tim Maia, de la funk, un peu de soul et des fans à travers tout le Brésil
Mais avant de détailler le foyer de naissance, parlons un peu des géniteurs de cette culture de rue devenue culture de tube.
Pendant les années 80, l’engouement pour le rock donne lieu à de nouveaux genres hybrides comme le samba-rock. Le funk américain débarque alors au Brésil, Tim Maia est l’un de ses plus grands ambassadeurs. Avec une énergie folle, il transforme le funk nord-américain en une rythmique mi samba, mi soul, accrocheuse et très entraînante. Immense vedette nationale, Tim Maia est une icône de la musique brésilienne, encore aujourd’hui. C’est lui qui revêt la première peau du funk, dans un costume de soul brésilien. Netflix vient même de lui consacrer un documentaire. Il meurt en 1998, le deuil se fait sentir dans tout le pays. L’artiste marque l’introduction de la funk au Brésil, et avec classe !
Les bailes funk des années 90
A la fin des années 90, sur fond de fin de dictature politique et influences du rap, du hip-hop et de la soul américaine, une scène multiforme voit le jour au Brésil, notamment dans les métropoles de Rio et Sao Paulo. Des groupes se rassemblent, majoritairement de petites communautés des favelas, et organisent des fêtes sur un fond musical alors en anglais, incompréhensible pour la plupart des participants. L’intérêt ? La danse et l’ambiance. C’est le début des bailes, les bals en français. Les communautés s’agrandissent, les rassemblements se font de plus en plus nombreux, et commencent à intéresser les médias de l’époque. Une journaliste en particulier, Lena Frias, donnera de l’ampleur au mouvement avec la rédaction d’un article sur ce mouvement communautaire grandissant.
Les bailes funk, influences rap, trafic de drogue et musique électronique
Mais le funk tel qu’on le connaît aujourd’hui au Brésil sera réellement introduit par DJ Marlboro. Musicien passionné, il ramène de nombreux vinyles de ses voyages aux Etats-Unis. Avec un sample électronique, il remixe le funk américain et donne une autre envergure aux bailes funk des favelas. Mais le funk électronique ne sera pas très bien accueilli par tout le monde. Les bailes sont pour la plupart contrôlés, voire organisés par les trafiquants, les paroles sont dures, racontent le quotidien dans les favelas, font l’apologie du crime et de la violence. Le sexe est aussi une thématique très exploitée. Bref, c’est la glorification du “ bad boys life style”.
Tout cela donne malheureusement lieu à de féroces affrontements entre certaines communautés des métropoles. Le trafic de drogue fait rage dans les favelas, ce qui entraîne des tensions entre les gangs. Certains bailes se transforment alors en compétition de danse, et les résultats ne mettent pas tout le monde d’accord… et alors c’est l’affrontement. Beaucoup de violence, beaucoup de morts, beaucoup de problèmes, les bailes funk ont alors bien mauvaise réputation, même si tout cela ne concernait qu’une minorité. Le gouverneur de Rio de Janeiro de l’époque souhaite même mettre en place une interdiction générale de ces rassemblements.
Les MCs du funk brésilien, amour, paix et union
Heureusement l’histoire du funk ne s’arrête pas là. Les MCs (maîtres de cérémonie) appartiennent à la culture hip-hop. Ils peuvent être DJ ou animateur de salle, ce sont grossièrement ceux qui vont créer l’ambiance de la soirée. Leur rôle étant assez déterminant, la portée de leur parole l’est encore plus. Suite à cette vague de violence dans les bailes, plusieurs MCs prennent les rênes et appellent à l’union. Ils commencent à écrire des paroles engagées, dictant l’amour et la paix, et souhaitent rompre avec cette image de gangs agressifs.
Les références du funk antigo
Rap da Felicidad est une chanson funk symbolique de cet appel à la paix. Écrite par un duo de MCs, Cidinho e Doca, deux cariocas natifs de la favela Cidade de Deus, elle reste encore aujourd’hui un hit national, repris nombre de fois par d’autres MCs.
Furacao 2000, une grosse équipe de production musicale carioca, a également marqué ce changement en démocratisant le genre. Show emblématique des années 90, leur succès sera phénoménal. C’est eux qui feront du mouvement un raz de marée dans tout le pays en présentant tous les artistes du funk carioca. Apologie de la paix et de la fête, ils colportent le funk aux autres classes sociales du Brésil. Le funk n’est alors plus une affaire de gang, il fait bouger tout un pays, des favelas aux grattes ciels de Sao Paulo.
La place du funk dans la culture brésilienne actuelle
Des favelas de Rio de Janeiro aux clubs branchés du Brésil, le funk a fait du chemin. Depuis les paroles engagées des années 90, la tendance est aujourd’hui commerciale. On est revenu à la version sulfureuse du funk. Influencé par le R&B américain des années 2000, le funk se transforme de nouveau. Robes courtes, mouvements sensuels, paroles provocantes, l’imitation se fait convaincante et comme à son habitude, le Brésil personnalise le mouvement. Bling-bling et provoque, le funk enflamme les soirées brésiliennes aux quatres coins du pays. Sa sonorité exotique a très vite séduit l’Europe, notamment avec le succès du titre Bumbum Tam Tam de Mc Fioti, l’une des références du funk contemporain.
Kondzilla, le maître du funk au Brésil
Côté producteur, Kondzilla tire les ficelles du genre. Konrad Dantas de son vrai nom est un hyperactif, touche à tout, d’abord directeur de création, puis impresario et enfin producteur, il fonde Kondzilla Records en 2011 et s’impose comme le canal de référence du funk contemporain en y diffusant les clips produits.
Aujourd’hui c’est le plus grand canal de funk du monde, et le 4em plus grand de musique ! 63 millions d’abonnés sur Youtube, plus de 1800 vidéoclips produits, 34 billions de vues, autant dire que c’est un mastodonte de la production musicale actuelle. Mais Kondzilla ne s’arrête pas là. Il produit, en partenariat avec Netflix, Sintonia, une série qui retrace la vie de 4 adolescents nés dans une favelas de São Paulo. Le funk y tient presque le rôle principal, un joli coup de promo pour toute la chaîne. Le succès est énorme, c’est la série brésilienne la plus regardée à l’internationale, elle est diffusée dans 190 pays. En parallèle, Kondzilla c’est aussi un festival de musique, et même un bloco de carnaval à São Paulo.
Le funk fait partie intégrante de la culture brésilienne populaire. Qu’on l’aime ou pas, le funk fait vibrer le Brésil depuis plus de 20 ans, et ce n’est pas près de s’arrêter.
Le twerk, le mouvement emblématique des bailes funk brésiliens
Impossible de parler du funk sans évoquer le twerk, ce déhancher si particulier, pas vraiment évident à reproduire, et qui pourtant rythme les bailes funk de tout le Brésil. Sans complexe, le twerk est unisex, filles et garçons s’y adonnent avec ardeur, le corps est libéré, l’esprit désinvolte, l’ambiance quasi-érotique mais toujours bon enfant. C’est la magie du Brésil mais aussi son ambivalence qui se retrouve aujourd’hui dans les bailes funk. Une société conservatrice dans un pays tropical, le contraste est étonnant. Muscles saillants et cheveux gominés pour les hommes, robe moulante et attitude aguicheuse pour les femmes, les clichés ont la belle vie dans le funk brésilien contemporain. Sexisme et apologie de la vulgarité, on est loin du funk des années 90.
Samba hybride, cri social, suite électronisée du rap et de la soul, influences hip-hop, et musique commerciale, le funk fait converger les époques et les nations.
Le funk au Brésil c’est toute une histoire qui n’est pas prête de se terminer.