La Mata Atlantica, ou Forêt Atlantique, implantée du Nordeste au Paraguay sur la côte Atlantique d’où elle tire son nom – mais aussi dans l’état du Minais Gerais – fait partie des gigantesques espaces sylvestres indispensables à la vie du Brésil, au même titre que l’immense Amazonie.
Pourtant, cet écosystème est de longue date menacé de destruction. Dès la colonisation avec la quête du fameux bois de Pau Brasil, précieux pourvoyeur de teinture pourpre, puis depuis quelques décennies par la déforestation galopante que subit le Brésil pour obéir à la loi aveugle des marchés et de l’affairisme autant que l’urbanisation galopante. Elle s’étalait sur près de 1 300 000 km², il n’en reste aujourd’hui que 7%, disséminé le long du littoral brésilien.
Un homme s’est dressé contre cette fatalité et a décidé de reboiser une de ces zones sinistrées. Un photographe, connu de par le monde entier pour ses clichés saisissants en noir et blanc. Un humaniste révulsé par la vue des dégâts inexorablement causés à l’environnement, un trublion regardé sombrement par le gouvernement actuel du Brésil. Sebastião Salgado n’en a cure : il n’en est pas à son premier affrontement avec les autorités brésiliennes et rien ne le fera dévier de la mission dont il s’est investi.
Sebastiao Salgado, photographe brésilien hors-norme
A soixante-quinze ans bien sonnés, Sebastião Salgado ne va pas se laisser impressionner par des ex-militaires lobbyistes, même s’ils sont actuellement du bon côté du manche. L’homme a déjà lourdement payé pour ses idées. Comme beaucoup de ses compatriotes, il « choisit » l’exil après l’instauration de la dictature au Brésil en 1969. Il part pour l’Europe, et Paris en particulier. A l’époque, Sebastião ne sait même pas charger un appareil photo. Non, il est un économiste de haut niveau, qui a œuvré dans les ministères et entamé un doctorat d’économie à l’Université de São Paulo. Son séjour forcé à Paris va lui donner l’opportunité d’écrire une thèse sur l’économie agricole.
Son diplôme lui ouvre les portes de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) à Rome, où il effectue plusieurs stages, avant d’obliquer vers l’OIC (l’Organisation internationale du café) qui l’emmène tout naturellement vers l’Afrique. En route vers son destin, il a l’idée de prendre dans ses bagages un petit appareil photo à titre de strict outil de travail. Ce Leica providentiel va lui faire rapidement prendre conscience du pouvoir de la photographie comme ultime instrument de témoignage. « Je me suis aperçu que les images me donnaient dix fois plus de plaisir que les rapports économiques » dira-t-il plus tard. Après quelques années de tergiversations, il décide de sauter définitivement le pas en 1973.
Sebastião Salgado, De l’économie à l’argentique
Sa réalité quotidienne passera désormais par la pellicule. La photographie lui permet de montrer le monde tel qu’il le voit, et ce à tous les regards, ce qu’excluent évidemment les longs comptes rendus fastidieux. Très vite, Sebastião Salgado devient un photographe professionnel respecté, travaillant pour de grandes institutions comme Sygma, Gamma et enfin Magnum à la fin des années soixante-dix, agence dans laquelle il restera le plus longtemps. Jusqu’à ce qu’il ouvre sa propre agence : Amazonas Images est inaugurée à Paris en 1994, avec l’apport essentiel de sa femme, Lélia Wanick Salgado.
Par ses clichés exclusivement en noir et blanc, Salgado témoigne de la misère du monde, de toutes les misères. Financières, humaines et écologiques. Les déshérités en Amérique Latine, les nomades affamés du Sahel, les travailleurs ruraux, les sans-abris, la déforestation, le photographe brésilien pointe son objectif partout où le malheur frappe. Les conflits armés qui déchirent les parties les plus vulnérables de la planète le voient sillonner le monde, de l’Angola au Sahara Espagnol en passant par Entebbe ou l’Amérique Latine. Certains le lui reprocheront vertement d’ailleurs, à l’instar de quelques grands médias comme le New York Times qui l’accuse de profiter de la misère humaine pour s’enrichir et faire parler de lui. Sans parler de gouvernants qui lui reprochent violemment ses prises de position plutôt classées à gauche.
Salgado, un travail photographique unique, entre art, humanisme et politique
S’il est indéniable que ses splendides livres vendus par centaines de milliers lui ont rapporté argent et notoriété, Sebastião Salgado repousse ces attaques en avançant son rôle de témoin et d’informateur sur les oppressions et injustices en ce bas monde. La beauté des clichés rappelle que l’homme au regard bleu acier est un des tous meilleurs photographes au monde et que l’esthétique n’empêche pas – au contraire – de faire prendre conscience de la dureté de la vie au fond des mines à ciel ouvert d’Amérique du Sud ou dans les déserts asphyxiants d’Afrique. On retrouve tout particulièrement cette préoccupation permanente de Salgado dans les 346 clichés noir et blanc de son ouvrage la Main de l’Homme publié en 1993 et qui va asseoir sa réputation internationale.
Au-delà de ces querelles de clocher, son travail a majoritairement rapporté à Sebastião Salgado honneur et reconnaissance. Ses contributions, artistiques comme financières, à des œuvres de charité publique tels l’UNICEF, le HCR, ou l’OMS l’ont positionné comme un entremetteur de valeur entre les peuples favorisés… et les autres.
De plus, lui et sa femme se sont engagés durablement dans des combats pour la santé, comme l’éradication de la poliomyélite dans le monde. Mais l’action la plus spectaculaire, et la plus ancrée dans le débat actuel sur le dérèglement climatique, le couple va l’entamer de concert avec la fondation de leur agence photographique parisienne, en 1994.
La résurrection de la forêt familiale d’Aimorès
Sebastião Salgado n’était plus revenu dans la propriété familiale près de la ville d’Aimorés, dans le Minas Gerais, depuis son départ forcé vers l’Europe en 1969. Il avait encore en tête la luxuriance de cette belle Forêt Atlantique dense, il découvrit avec effroi des collines sèches et pelées, victimes des tractopelles et autres scrapers utilisés par les grandes compagnies responsables des déboisages à grande échelle dans le but de s’approprier les richesses du sous-sol, notamment le minerai de fer. Une idée folle germe alors dans la tête du couple Salgado : racheter la terre et tout replanter !
l’Instituto Terra contre le néant
L’argent n’est évidemment pas un problème pour le photographe multi-récompensé de par le monde. La volonté et le courage de mener ce titanesque projet à bien l’est bien plus, on s’en doute ! Sebastião et Lélia fondent une organisation environnementale dédiée au développement durable, l’Instituto Terra. L’institution recrute une vingtaine d’employés, et surtout accueille des centaines de volontaires venus des quatre coins de la planète pour engrener la grande œuvre. Il faudra près de vingt ans de dur labeur et d’abnégation pour parvenir au résultat escompté : aujourd’hui, près de 2 millions d’essences diverses ont été replantées sur plus de 600 hectares ! Sebastião Salgado peut à nouveau contempler sa fazenda de Bulcão noyée sous la verdure qui emplit les collines à perte de vue !
Effet collatéral souhaité, cette voûte végétale régénérée a vu revenir la faune disparue : oiseaux, mammifères, reptiles, au total plus de 200 espèces par ailleurs menacées d’extinction ont retrouvé un écosystème accueillant. La réussite écologique est au rendez-vous de ce projet insensé, même si son initiateur s’attire à l’évidence les foudres de nombre de décideurs brésiliens qui n’ont pas baissé les bras dans leur volonté de destruction de la Terre à leur seul profit.
Le combat n’est bien sûr pas terminé. Sebastião Salgado l’a mené pendant des décennies avec ses boîtiers et ses objectifs, il a choisi de le poursuivre désormais sur le terrain, là où il faut affronter une logique économique qui n’est pas la sienne. Il sait qu’il sera long, mais son œuvre travaille également pour lui. Ses livres, ses expositions, sa reconnaissance mondiale alertent sur l’urgence humanitaire à ne pas laisser sans réagir les profiteurs aveugles scier la branche sur laquelle les Hommes sont assis.