Brasília, capitale surgie de nulle part

Aucun pays moderne n’avait connu pareille aventure : la construction totalement artificielle d’une capitale nouvelle au milieu d’un environnement a priori hostile à toute notion d’habitation à grande échelle. Projet immensément déraisonnable selon les uns, le plus grand projet architectural de l’Histoire selon les autres, Brasilia et ses monuments ambitieux ne laissèrent pas indifférent. Par cet acte fort, le Brésil des années soixante tenait, quoi qu’il en soit, à faire connaître au monde entier sa ferme volonté de venir s’attabler au grand banquet de la croissance mondiale.

La genèse de Brasília, utopie futuriste à la gloire du Brésil

 

Comment en est-t-on en arrivé à cette incroyable décision ? A créer de toutes pièces une capitale alors que le pays possédait déjà deux métropoles incontestables avec Rio de Janeiro et São Paulo ? C’est que justement, ces deux-là n’ont jamais pu s’entendre. La rivalité exacerbée entre Rio la folle cité culturelle et São Paulo la tentaculaire ville d’affaires n’est pas une légende et le désir de fonder une troisième entité qui aurait l’attrait de la neutralité fut clairement l’un des buts avoués de l’érection de Brasilia sur un plateau désert du Centre-Ouest à plus de mille kilomètres des deux sœurs énervées de la côte sud. Mais pas que. Si l’on en croit des textes anciens mis à jour au moment de la genèse du projet, il en allait également d’une farouche volonté de s’émanciper d’un passé pesant, en même temps que de la détermination à montrer au monde entier la nouvelle puissance architecturale du Brésil.

L’idée de l’intériorisation d’une capitale dans les terres semble remonter au milieu de XVIIIe siècle, et est attribuée à un cartographe italien en voyage au Brésil, Francesco Tosi Colombina. La capitale était alors Rio (après que Recife eut obtenu le titre depuis la colonisation portugaise) et il paraissait plus judicieux aux yeux de Tosi Colombina d’éloigner la cité décisionnaire de la côte et de la recentrer dans le pays.

L’idée fit son petit chemin cahin-caha, mais ne devint évidente qu’un siècle plus tard, lorsque fut inscrit dans la constitution de la première république en 1891 la nécessité impérieuse d’avoir une capitale au centre du pays. Le but pour la jeune république était clairement de se détacher symboliquement du joug de l’esclavage portugais représenté par les villes de la côte sud et ouest. Mais le chemin vers la concrétisation du projet allait être encore très long à parcourir. Il faudrait attendre le siècle suivant pour que les premiers engins de chantiers commencent à creuser le sol caillouteux et sec du plateau de Recullo Cruls.

Vue aérienne de l'Eixo Monumental à Brasilia.

Le gigantisme architectural moderne au service de l’idéologie

 

L’issue de la seconde guerre mondiale coïncida avec celle de l’Estato Novo, régime dictatorial institué en 1937 par Getúlio Vargas. Le Brésil souffrait alors de graves problèmes sociaux amenant des perturbations et des manifestations nuisant à la croissance nationale. Devant l’impuissance du gouvernement à gérer une situation proprement explosive, les députés firent remonter à la surface l’idée d’une capitale administrative intériorisée, afin de s’éloigner de la turbulente Rio de Janeiro. Hors de question évidemment de confier ce rôle à São Paulo, il fallait donc revenir à ce projet de ville nouvelle évoqué au siècle dernier.

Une commission fut créée en 1953, et un site d’édification acté dans la foulée : ce serait un rectangle de 60 x 160 km sis sur un plateau aride du Cerrado à 1172 mètres d’altitude, le Recullo Cruls. Le côté oppressant du climat aride, voire hostile, de l’endroit serait atténué par la création d’un gigantesque plan d’eau artificiel, le lac Paranoá. Censé amener à la mégalopole l’humidité et la fraîcheur manquant naturellement en hiver avec ses 500 millions de m3 d’eau douce, il abrite une vaste faune variée allant du Tucunaré au Caïman à Lunette en passant par les hérons.

Le projet était quasiment pharaonique, à l’image de l’idée que le Brésil tenait à faire passer de lui à un monde occidental quelque peu condescendant : celle d’un pays neuf se prenant en main et capable d’ériger en quelques années une ville d’un modernisme et d’un dynamisme éclatants grâce au concours de quelques-uns de ses plus grands architectes, urbanistes et ingénieurs.

En cinq années de travail acharné, parfois à marche forcée, la ville de Brasilia vit le jour en 1960, et fut inaugurée le 21 avril par Juscelino Kubitschek, président élu en 1956 au profil que ses détracteurs qualifiaient de « socialiste ». Kubitschek tranchait de fait avec ce qui s’était fait auparavant au Brésil en matière d’hommes politiques, et exaltait le triomphe du génie brésilien pour achever cette cité qui ferait gagner « cinquante ans de progrès en cinq ans ».

La signature de l’œuvre ne laissait, elle-non plus, pas de place au doute quant aux aspirations éminemment populaires du projet : l’urbaniste Lucio Costa et surtout l’architecte Oscar Niemeyer, maîtres d’œuvre du projet, avaient de tout temps affiché leurs sympathies révolutionnaires et communistes. L’idée de base était de créer une ville idyllique dans la lignée de ce qu’avait imaginé autrefois Le Corbusier (grand inspirateur de Niemeyer), une ville entièrement dévouée au confort du peuple grâce à des formes épurées, simples et lumineuses. Même imparfaite et non terminée, la cité de Brasilia était prête à vivre en 1960 et à accueillir les dizaines de milliers de fonctionnaires gouvernementaux et autres habitants qui viendraient s’installer dans des immeubles aux bureaux flambants neufs sur le plateau de Cerrado.

Brasília: un patrimoine unique, classé à l’UNESCO

 

 Oscar Niemeyer a certainement réussi à Brasilia quelques-unes de ses plus belles créations : parmi les dix-huit édifices dont les plans sont signés de sa main, on peut retenir le palais présidentiel Palácio do Planalto, le Congrès National, le musée de Brasilia et bien sûr la célèbre cathédrale Nossa Senhora Aparecida à structure hyperboloïde forte de 4000 places Pures merveilles de l’architecture moderne, ces bâtiments aux lignes élancées et audacieuses sont à apprécier longuement dans la découverte de cette ville à nulle autre pareille.

Lucio Costa est lui responsable du dessin du centre-ville, le fameux « plan pilote » (plano piloto), qui, vu d’avion, ressemble à un avion grâce au croisement de deux grands axes routiers : le fuselage serait constitué par l’Eixo Monumental, immense boulevard de deux fois six voies de plus de 250 mètres au plus large où il est agréable de se promener pour admirer les prouesses architecturales des immeubles abritant l’administration brésilienne. Cette artère gigantesque aboutit à la place des Trois Pouvoirs, car c’est là que sont élevés les bâtiments abritant les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. Les ailes de l’avion seraient représentées par L’Eixão Rodoviário, ou plus simplement l’Eixão, gigantesque artère courbe constituée d’un axe principal auquel sont reliés plusieurs axes secondaires. A titre indicatif, l’Eixão concentre à lui seul plus de 200 000 habitants !

A cette architecture stupéfiante, Brasilia ajoute le charme de ses parcs et jardins rafraichissants qui offrent de vastes aires de repos au milieu de cette démesure urbaine. La Parc de la Cité (Parque da Cidade) est tout simplement un des plus grands parcs urbains au monde avec ses 420 hectares ! Les jardins botaniques et zoologiques constituent également des lieux de visite très prisés par les touristes, mais aussi par les Brasilienses (les habitants de Brasilia).

 

Brasília, une ville à découvrir

 

Le côté pharaonique de la construction de cette mégalopole, et les problèmes intrinsèques qui en ont découlé, ne doit pas faire oublier l’essentiel. Brasilia est une cité à découvrir absolument pour son unicité sidérante, une cité qui a réussi son pari initial : créer de toutes pièces en partant d’une feuille blanche une capitale administrative à l’écart des deux protagonistes de la côte sud, et surtout qui fonctionne autant qu’on puisse lui demander. Une ville où les immeubles, les parcs et les jardins sont superbes et où le tourisme a pris toute sa place depuis une vingtaine d’années. Une ville étonnante, reconnue comme une des plus grandes réussites architecturales de l’Histoire mondiale qui célèbre le savoir-faire brésilien en la matière, ce que n’ont pas manqué de remarquer les gens de l’UNESCO qui ont inscrit la capitale brésilienne au patrimoine mondial en 1987.

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