Est-il nécessaire de rappeler que les Brésiliens aiment faire la fête ? Adorent faire la fête ? Tout, ou presque, au Brésil est prétexte à célébrer la générosité de la vie : le carnaval, les fêtes liées aux diverses religions, les événements sportifs, Noël, le jour de l’an, les grands concerts, tout est bon pour profiter à fond du moment présent. A tout cela, on doit ajouter une manifestation peu connue en dehors de frontières mais qui passionne le pays tout entier : le Festival folklorique de Parintins.
La légende du boeuf
Si vous avez choisi d’orienter votre voyage vers l’Amazonie aux alentours de la fin juin et que vous débarquez dans l’île de Parintins, sur le fleuve Amazone entre Manaus et Santarem, sachez que vous serez immédiatement immergé dans une atmosphère de fête où le mercure grimpe à des hauteurs exceptionnelles. Vous êtes tombé en plein « Boi-bumba » ou Festo do Boi (La fête du bœuf), qui attire chaque année plus de 100 000 aficionados venus de tous les états du Brésil ! Le bœuf est un animal vénéré ici, mais rien à voir avec un quelconque état de divinité intouchable comme en Inde par exemple : les Brésiliens sont extrêmement friands de sa viande. Non, on est là en présence d’une vieille légende annuellement célébrée avec un faste déraisonnable qui dépasse celui de l’année passée, et est à coup sûr moins impressionnant que celui de l’année à venir !
Cette légende raconte qu’au XVIIe siècle, Catarina, enceinte de son employé de ferme de mari, Francisco, eut une faim soudaine de langue de bœuf. Toujours soucieux de satisfaire son épouse, le brave homme tua donc le bœuf dont son patron lui avait confié la garde et offrit la langue à sa femme. Comme on peut l’imaginer, le fermier ne goûta pas du tout la recette de son employé et le poursuivit pour lui faire expier son forfait. Affolé, Francisco alla demander de l’aide au sorcier, le « Pajé », qui ressuscita l’animal et ainsi ramena la paix dans la ferme. Une grande fête fut alors organisée pour célébrer l’événement, et c’est cette célébration qui se perpétue chaque fin de mois de juin dans la jungle amazonienne.
Le premier Festival Folclórico de Parintins eut lieu en 1913 et à l’époque ne fut qu’une simple et modeste procession, bien loin de ce qu’elle allait devenir des décennies plus tard. Dans les années soixante, la manifestation s’enrichit de tout un cérémonial qui allait la faire bientôt devenir l’égale des carnavals en termes de moyens déployés et de retentissement. La région amazonienne, et spécialement l’île de Parintins, vit là l’occasion rêvée pour attirer encore plus de touristes, et la télévision signa dans les années quatre-vingt-dix un contrat de retransmission dans tout le pays.
Choisissez votre camp
Le festival se déroule sur trois jours dans une enceinte sportive d’une capacité de 35 000 spectateurs appelée Bumbodromo. Deux équipes vont s’affronter, celle du bœuf garanti (Boi Garantido), noir avec une étoile bleue sur le front, face à celle du bœuf capricieux (Boi Caprichoso), décoré de cœurs rouges. Comme lors des carnavals de Rio, Recife ou Salvador, chaque clan doit rivaliser de costumes toujours plus chatoyants, sur des chars extrêmement ouvragés et nantis d’effets spéciaux délirants, dans une ambiance électrique de musique (la toada) et rythmiques à base d’accordéon, tambours et batucadas (environ 400 musiciens !), qui accompagnent chants et danses frénétiques alors qu’éclatent les feux d’artifices dans le ciel étoilé. Bref, si vous étiez venu sur Parintins pour profiter du farniente et de la tranquillité de la jungle équatoriale, c’est carrément raté !
La fièvre du festival envahit l’île et les environs six mois avant la date fatidique : ateliers de costumes, de chars, de confection d’effigies, lieux de répétitions de danses et de chants sont pris d’assaut par les artisans et les artistes qui travaillent d’arrache-pied pour que tout soit prêt fin juin. Tout est réalisé dans le plus grand secret pour évidemment mieux impressionner les spectateurs, et surtout le clan adverse, le jour du grand défilé. La manifestation (qui peut durer jusqu’à six heures, chaque équipe disposant de trois heures pour sa présentation !) est présidée par un maître de cérémonie, ou présentateur (apresentador), qui décrit chaque tableau à la foule. Foule constituée pour une grande partie par les supporteurs de chaque équipe.
Chaque bœuf est constitué d’une immense tête en bois et poils, montée sur un corps recouvert de tissus brodés et chamarrés, le tout porté par plusieurs personnes dissimulées sous la représentation de l’animal. Cette célébration, qui tient un peu de l’opéra populaire, un peu d’un rituel religieux et un peu du carnaval se fait naturellement dans une furia indescriptible. Mais, chose incroyable quand on connaît la ferveur des Brésiliens pour tout ce qui est festif, lorsque les fans acclament à gorge déployée les effigies, chars et danseurs de leur équipe en train de défiler, ceux d’en face restent parfaitement cois et immobiles ! C’est une règle immuable instaurée depuis des années et cette note anachronique concourt à ajouter une magie toute particulière à cette gigantesque manifestation.
Au-delà de la célébration de la légende, c’est toute la civilisation des « caboclos », ces métis de l’Amazone, qui est ici mise en scène. Les tableaux présentés s’appuient sur les légendes indiennes, leur folklore et leur culture. Mais aussi sur l’esclavage passé, la faim et les privations. C’est également le moment de faire passer une satire sociale, tout en restant festif car rien ne peut se faire dans ce pays sans joie et sans ferveur. L’imagination débridée est traduite dans ces représentations immenses de créatures fantastiques issues des légendes de la forêt amazonienne.
Au terme des trois jours, un jury se réunit et distribue une vingtaine de prix récompensant, comme dans un festival cinématographique, le meilleur bœuf, le meilleur char, les meilleurs chanteurs et danseurs, les meilleurs costumes, les meilleurs supporteurs, etc. La fête se poursuit bien évidemment toute la nuit dans tous les établissements et rues de la ville de Parintins. Musique, danse et cachaça au programme ! Vous n’êtes pas prêt d’aller vous coucher.