Quand on veut faire un article sur l’architecture au Brésil, impossible d’éviter de parler du concepteur de Brasilia, la capitale du Brésil sortie de terre en 1960. La patte de Niemeyer se reconnait dans l’amplitude des courbes de ses constructions monumentales. Comme Le Corbusier, un de ses maîtres, l’architecte brésilien a tout de suite adopté le béton comme le matériau idéal pour le façonnage de ses rêves et visions. Mais, à l’inverse de son confrère français, Niemeyer fuyait les angles droits ou saillants, leur préférant les longues courbures inspirées par les montagnes bordant sa ville natale de Rio de Janeiro, voire par celles du corps de la femme qu’il vénérait. Il fut d’ailleurs surnommé « l’architecte de la sensualité ».
Niemeyer, L’architecte symbole du Brésil moderne
Titre
Naissance d’un géant
Né en 1907, Oscar Ribeiro de Almeida de Niemeyer Soares fait ses humanités à l’École nationale des beaux-arts de Rio de Janeiro, d’où il sort diplômé en 1934. Le jeune architecte est naturellement influencé par le modernisme épuré très à la mode dans ces années trente, mouvement initié par Le Corbusier, l’américain Frank Lloyd Wright ou l’allemand Walter Gropius. Style architectural majeur du Brésil, le modernisme se caractérise par le minimalisme et l’absence d’excès de fioritures ou de décorations. Il est simple, avec des lignes épurées et une forme fonctionnelle. On peut en cela noter le côté déjà indépendant du jeune homme dont la formation étudiante était plus basée sur le classicisme à la « française », classicisme qu’il rejeta vite.
Appelé à travailler dans l’agence de son aîné Lucio Costa, également adepte du modernisme, Niemeyer participe en 1936 à la conception du nouveau siège du ministère de l’éducation et de la santé à Rio de Janeiro et, dès l’année suivante, il conçoit sous son propre nom une crèche à Rio. Très vite, l’ampleur et la justesse de ses réalisations séduisent les décideurs publics du pays, si bien qu’entre 1940 et 1943, il réalise sa première grande œuvre : le complexe commercial de Pampulha à Belo Horizonte dont le maire, Juscelino Kubitschek, deviendra président de la république en 1956. Cette accession au pouvoir aura de grandes conséquences sur la renommée internationale d’Oscar Niemeyer.
Brasilia, le chef d’oeuvre de Niemeyer
L’architecte carioca accède à la notoriété mondiale en participant à la conception du siège des Nations Unies à New York entre 1947 et 1952, au sein d’une équipe de onze architectes, parmi lesquels Wallace Harrison et Le Corbusier. Considérées comme des œuvres d’art, ses créations sont exposées dans les musées d’art et c’est donc tout naturellement qu’en 1956, le fraîchement élu président brésilien Kubitschek lui demande de concevoir les principaux bâtiments de la nouvelle capitale administrative du pays, appelée à être érigée au milieu des plateaux de l’état de Goiás.
Même si cela peut paraître réducteur pour une œuvre comptant 600 projets, celui de Brasilia reste emblématique de la production d’Oscar Niemeyer. La cathédrale hyperboloïde, le siège du Congrès National du Brésil avec ses deux sphères inversées, le musée national, la résidence présidentielle « Palácio da Alvorada », le théâtre national et 15 autres bâtiments seront le fait et la marque de fabrique de ce visionnaire hors du commun. Malgré l’échec du but initial de Niemeyer et Costa, qui avaient conçu une ville pour seulement un demi-million d’habitants alors qu’elle en reçu cinq fois plus dont beaucoup dans des favelas insalubres à sa périphérie, Brasilia sera classée au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1987 tant son architecture reste innovatrice.
Ces travaux pharaoniques s’échelonnèrent naturellement sur des dizaines d’années, dont une vingtaine furent passées hors de son pays par leur concepteur qui n’eut à un moment de sa vie pas vraiment le choix de son destin.
Exil et prises de positions
Oscar Niemeyer n’a jamais caché ses fermes convictions politiques : il rêve d’une société plus égalitaire sans barrières sociales, faisant surtout référence à celles de son pays avec ses centaines de milliers de miséreux confinés dans les favelas. Comme nombre d’intellectuels séduits par le « valeureux combat » du communisme contre le nazisme pendant la guerre, il adhère dès 1945 au parti communiste, engagement qu’il ne reniera jamais. L’arrivée au pouvoir en 1964 de la junte militaire du maréchal Castelo Branco va donc intimement révulser ce militant de la cause Internationale et le contraindre à l’exil.
Son voyage le pousse vers la France où son immense notoriété et ses convictions personnelles l’amènent à la réalisation de plusieurs édifices majeurs : le siège du Parti Communiste Français place du Colonel Fabien, à Paris, celui du journal L’Humanité à Saint-Denis, ou encore la Bourse du travail à Bobigny. L’Algérie postcoloniale de Boumediene fait naturellement appel à l’architecte aux « fortes convictions sociales » qui va y réaliser des campus, comme l’école Polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger, l’Université des Sciences et de la Technologie d’Alger, l’université avant-gardiste de Constantine, ou la gigantesque coupole du Complexe Olympique du 5 Juillet à Alger.
Le retour au pays
Dès la fin de la dictature en 1985, Oscar Niemeyer peut revenir l’esprit libre dans son Brésil natal. Il a près de quatre-vingts ans, mais n’est absolument pas décidé à prendre une quelconque retraite. Niemeyer va vivre jusqu’à l’âge exceptionnel de 105 ans et restera professionnellement actif quasiment jusqu’à la fin de ses jours !
Il conçoit l’incroyable musée d’art contemporain de Niterói dans le quartier de Boa Viagem, en face de Rio de Janeiro, sorte de soucoupe volante posée au bord d’une falaise, l’auditorium de São Paulo, recouvert d’une toiture ondulante en béton de 27 000 m², ou encore le centre culturel international Oscar Niemeyer à Avilés en Espagne, une de ses réalisations les plus importantes en Europe, sans oublier des réalisations pour les « amis révolutionnaires » Hugo Chavez et Fidel Castro (monuments hommage à Caracas pour le premier et à la Havane pour le second).
A 104 ans, il supervisait encore les travaux du Sambodrome de Rio, construit par ses soins 30 ans auparavant et qui accueillit certaines compétions des Jeux Olympiques de 2016. A sa mort en 2012, la présidente Dilma Rousseff déclara : « Le Brésil a perdu l’un de ses génies et c’est un jour pour pleurer », et le gouverneur de Rio de Janeiro décréta trois jours de deuil en la mémoire de ce « monument national » disparu.
Oscar Niemeyer était lauréat du prix Pritzker, la plus haute récompense mondiale dans le domaine de l’architecture, décerné en 1988. Le jury résuma son œuvre avec la simplicité et l’évidence du style de l’artiste-architecte honoré ce jour-là : « Il a capturé l’essence du Brésil avec son architecture. Ses bâtiments distillent les couleurs, la lumière et l’image sensuelle de son pays natal ».