Le spiritisme au Brésil

Au départ croyance de salons pour intellectuels, le spiritisme s’est tellement développé au Brésil qu’il est devenu une religion qui a, non seulement pignon sur rue, mais qui est reconnue d’utilité publique.

Relativement récente à la différence du catholicisme, du protestantisme ou du candomblé, elle est devenue incontournable dans beaucoup de domaines et fait partie de la vie active brésilienne. Comme les autres religions susnommées, le spiritisme n’est pas né au Brésil. Mais il n’y est pas arrivé avec le débarquement des premiers colons ou esclaves. Il a fait un long détour depuis les Etats-Unis et l’Europe dans la deuxième partie du XIXe siècle avant de se répandre en Amérique du Sud, et particulièrement au Brésil. Le spiritisme est une doctrine basée sur les manifestations et l’enseignement des esprits. L’existence de Dieu et de la vie éternelle y est totalement admise, assortie d’une communication concrète avec divers êtres spirituels, notamment les défunts. Ce qui s’appelait vaguement au début du XIXe siècle « phénomènes magnétiques » est devenu « spiritualisme américain » avec la venue en Europe d’une mission de médiums nord-américains.

En France, c’est un instituteur lyonnais, Léon Hippolyte-Denizard Rivail, plus connu sous le pseudonyme d’Allan Kardec, qui va s’intéresser de très près à ces séances où la bonne bourgeoisie fait tourner les tables dans l’espoir d’entrer en contact avec des êtres disparus. Il codifie les pratiques, et synthétise ses nombreuses observations en 1857 dans un ouvrage devenu référence, Le Livre des Esprits. Le nom de Kardec devient vite célèbre et sa philosophie ainsi énoncée est baptisée tout simplement « spiritisme ».

Un religion de communication avec les Esprits

gravure ancienne d'une scéance de spiritisme en rond autour d'une table.

Le succès du spiritisme de L’Europe à l’Amérique du Sud

 

Le succès du spiritisme en Europe est foudroyant. Kardec fonde en 1858 La revue spirite, puis dans la foulée la Société parisienne des études spirites. Le mouvement se répand comme une traînée de poudre à travers toute l’Europe et la doctrine acquiert alors un versant social en prenant position sur des thèmes de société très avant-gardistes comme le vote des femmes, l’abolition de la peine de mort ou le pacifisme. Épuisé par ses voyages en Europe où il allait porter la bonne parole, Allan Kardec meurt en 1866, laissant la place à Pierre-Gaëtan Leymarie qui maintient le cap de la doctrine malgré les difficultés et les attaques de tous bords. Le mouvement va atteindre son apogée dans les premières années du XXe siècle jusqu’à ce que le Vatican, effrayé par l’aspect surnaturel de la chose, interdise officiellement en 1917 aux croyants catholiques de participer à des séances spirites. Son impact va progressivement décroître en Europe, alors qu’il est en pleine expansion en Amérique du Sud.

Le Brésil en pointe sur le spiritisme

 

Dès 1858, les élites brésiliennes ont entendu parler de cette nouvelle doctrine qui enflamme l’Europe, et les premiers salons de « tables tournantes » apparaissent à Bahia, puis à Rio à partir de 1865. Des intellectuels correspondent avec Pierre-Gaëtan Leymarie, certains collaborant même à La revue spirite. Très vite, des journaux spirites voient le jour au Brésil, et en 1884 est fondée la Federação Espírita Brasileira (Fédération Spirite Brésilienne) dont le premier directeur est un influent député, Bezerra de Menezes.

Après avoir conquis les villes, le spiritisme atteint les campagnes dans les premières années du XXe siècle grâce à l’itinérance d’un prosélyte de l’œuvre de Kardec, Cairbar Schutel. Schutel va fonder quelques années plus tard le périodique Revista Internacional do Espiritismo, écrire moult livres et animer des émissions à la radio. On lui doit l’organisation de soins gratuits et les premiers hôpitaux spirites.

Après la seconde guerre mondiale, le spiritisme se heurte à la variante « Umbanda » du candomblé qui tente d’attirer à elle une partie des pratiquants spirites. Pour affirmer leur identité, les fédérations se réunissent à Rio de Janeiro en 1949 et signent le Pacte Noble (Pacto Áureo) qui les engage à rester fidèles à la doctrine fondatrice d’Allan Kardec. Ce pacte est toujours en vigueur et donne sa vraie signification au spiritisme par rapport aux autres religions.

Le spiritisme au Brésil s’identifie rapidement à l’action sociale grâce à l’ouverture de bibliothèques et d’école maternelles. Les médiums-guérisseurs deviennent célèbres, tels Eurípedes Barsanulfo, José Pedro de Freitas « Zé Arigó » qui attire les reporters du monde entier dans les années d’après-guerre, ou le fameux Chico Xavier, médium-guérisseur et psychographe, qui écrira plus de 400 livres et participera à des émissions de télévision – il fut nommé deux fois pour le prix Nobel de la paix.

Xavier ira même jusqu’à proclamer que le Brésil est « le pays d’adoption du spiritisme », qui en devient sa troisième religion ! Affirmation que certains nuanceront toutefois en avançant que le spiritisme n’est pas une religion, mais une doctrine qui repose sur des principes et non des dogmes, et que, de plus, la notion de messie ou prophète y est absente. Les spirites accusent d’ailleurs la religion d’être une croyance toute faite et non vérifiée alors qu’eux « interrogent le réel pour en savoir plus ». Quoiqu’il en soit, avec près de 6 millions d’adeptes, et 20 millions qui se disent « sympathisants », le spiritisme est effectivement en troisième position sur la carte des religions au Brésil.

facade de la fédération spirite du Brésil.

La reconnaissance publique du spiritisme au Brésil

 

Autrefois puni par la loi et cible d’attaques virulentes, le spiritisme est devenu dans le Brésil moderne « religion d’utilité publique ». Il est pratiqué, à des niveaux différents, par toutes les catégories de la population, à l’exception toutefois des classes les plus populaires qui préfèrent majoritairement se tourner vers le télé-évangélisme ou le candomblé. Il a permis d’ouvrir des crèches, des hôpitaux, des écoles, des dispensaires ; il œuvre à l’amélioration de de la société et aide à soigner les cas où la médecine traditionnelle ne peut qu’avouer son impuissance, comme les exorcismes ou des troubles mentaux venus « d’une autre vie ». Les centres d’accueil se sont multipliés sur le territoire proposant actes de soins et conseils juridiques.

La plupart des corporations ont leur association spirite, les magistrats, les psychologues, les artistes, les militaires, les enseignants. Le spiritisme est enseigné à l’université publique de São Paulo et possède ses musées, à Curitiba et à São Paulo. Il a ses émissions de télévision, son rôle dans le développement du pays a été officiellement reconnu par les députés et enfin, le 18 avril a été consacrée « journée nationale du spiritisme ».

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