Le cinéma brésilien, renouveau et dictature

Au milieu des années cinquante, le cinéma brésilien se retrouve dans une situation plus que délicate : malgré tous les efforts et les investissements passés, il n’a pas su se développer et est purement menacé de disparition par manque de volonté et de création. Le salut va venir d’Europe.

Le Cinéma Novo, un nouveau souffle au Brésil

Et plus précisément de l’Italie, puis ensuite de la France, deux pays cinéphiles s’il en est. Dans l’Italie ruinée et dévastée des années d’immédiat après-guerre, les réalisateurs doivent composer avec ce qu’ils ont, où plutôt ce qu’ils n’ont pas : des budgets extrêmement serrés et pas de studios où tourner.

Désireux avant tout de décrire la dure vie des gens qui tentent de reprendre pied dans l’existence après les années sombres, ils placent leurs caméras dans la rue et filment rapidement, à la lumière du jour. Rossellini, De Sica, Visconti sont alors les nouveaux chantres d’un cinéma de liberté qui brise les codes existants.

Leurs films sont projetés avec succès dans le monde entier, et le Brésil ne fait pas exception.

affiche du film Rio, 40 graus

L’exemple italien pour le Cinema Novo Brésilien

 

Si Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini est considéré à juste titre comme l’acte fondateur du néoréalisme italien en 1945, dix ans plus tard Rio, 40 Graus (Rio, 40°) de Nelson Pereira dos Santos est celui du Cinema Novo brésilien.

Comme son confrère Alex Viany, Dos Santos a retenu la leçon italienne : il faut décrire le plus simplement possible et sans artifices la vie quotidienne dans les villes du Brésil, grâce à un langage cinématographique direct et exempt de toute lourdeur.

Tourné en décors naturels avec des acteurs non-professionnels, Rio, 40 Graus ne propose pas autre chose, montrant les occupations de cinq petits vendeurs de cacahuètes dans les favelas de Rio.

Cette description sans concession de la réalité brésilienne amène évidemment à des prises de position politiques qui ne feront que favoriser la venue d’heures sombres à venir, mais n’anticipons pas.

affiche du film Terra em Transe.

La consécration cannoise

 

La deuxième secousse qui va booster le Cinema Novo a lieu à la fin des années cinquante en France. Godard, Chabrol, Rivette chamboulent le rythme ronronnant du cinéma français, et Truffaut reçoit le prix de la mise en scène au festival de Cannes 1959 avec Les 400 coups qui devient le film-symbole de la nouvelle vague française. Là-encore, les cinéastes brésiliens vont trouver une nouvelle source d’inspiration.

Le Cinema Novo est en fait un mélange de néoréalisme italien et de nouvelle vague française, les deux courants refusant les codes éculés du vieux cinéma et désirant être en prise sur la vraie vie. De façon assez paradoxale, le premier film brésilien à recevoir la consécration internationale sera boudé par les réalisateurs du Cinema Novo.

Palme d’Or à Cannes en 1962, O pagador de promesas (La promesse donnée), d’Anselmo Duarte, ne recueille pas l’assentiment de la critique et des cinéastes brésiliens qui lui reprochent principalement de ne pas parler des problèmes citadins, le film se situant volontairement dans les campagnes.

Quoi qu’il en soit, O pagador de promesas propulse enfin le Brésil sur le devant de la scène artistique mondiale, même s’il ne fait pas réellement partie de ce Cinema Novo que les Brésiliens aimeraient tant faire connaître au monde.

Lorsqu’en 1967 le bahianais Glauber Rocha décroche le prix de la critique internationale à Cannes avec Terra em Transe (Terre en transe), et surtout celui de la mise en scène en 1969 avec Antonio Das Mortes, les adeptes du Cinema Novo peuvent savourer le moment : leur plus fidèle représentant est reconnu par ses pairs internationaux.

Le problème est qu’à ce moment-là, une chape de plomb est tombée sur le Brésil et que les cinéastes, comme les artistes en général, ont le choix entre réaliser des œuvres qui attirent les bonnes grâces du pouvoir en place, ou bien tenter de s’exprimer librement, mais en dehors du Brésil, ce que fera Glauber Rocha en 1971.

affiche du film Dona Flor e seus dois maridos.

A l’ombre de la junte

 

En 1964, un coup d’état militaire mené par le maréchal Castelo Branco renverse la présidence de João Goulart, et une dictature soutenue par les Etats-Unis et la CIA va maintenir le pays dans un climat de tension et de répression qui ne s’adoucira que vers le milieu des années soixante-dix, avant un retour à la démocratie en 1985.

Pour les réalisateurs qui ont choisi de rester au pays, plus question de cinéma ouvertement engagé. Tandis que certains optent pour un cinéma totalement dépourvu d’arrière-pensées politiques, d’autres utilisent l’allégorie masquée pour exprimer leurs idées, comme Nelson dos Santos. Puis il y a ceux qui choisissent de faire des films complètement déstructurés, voire expérimentaux, comme Rogério Sganzerla, ou Júlio Bressane.

Cassant encore plus les codes que ne l’avait fait le Cinema Novo, ce qu’on va vite appeler le cinéma underground, ou « Udigrudi », va rallier tous ceux qui luttent contre la mainmise des militaires sur le pays. Et paradoxalement, c’est d’eux que viendront quelques aides bienvenues.

Désirant contrôler au plus près ce moyen d’expression qu’est le cinéma, mais conscient qu’il ne peut vivre sans aide, le gouvernement crée l’« Embrafilme » (Entreprise Brésilienne de Films) destinée à financer la production locale.

Reprenant les vieilles recettes d’avant-guerre, il taxe également tous les films étrangers entrant sur le territoire brésilien. De façon assez cocasse, les subventions iront souvent dans les années soixante-dix à des cinéastes se réclamant autrefois du Cinema Novo.

Ces années vont pourtant amener le cinéma brésilien vers une nouvelle crise existentielle : le cinéma d’auteur ne fait plus recette, remplacé par les insipides « pornochanchadas », comédies érotiques soft peu sujettes à la censure puisque totalement dénuées de propos politiques potentiellement subversifs, ou, dans un style diamétralement opposé, par les films pour les enfants.

Malgré quelques pépites comme Dona Flor e seus dois maridos (Dona Flor et ses deux maris) en 1976, de Bruno Barreto, ou Pixote – A lei do mais fraco (Pixote, la loi du plus faible) en 1981, de Hector Babenco, la situation devient critique pour le cinéma brésilien qui peine à trouver un public frappé par le crise économique et qui préfère suivre les « novelas » (feuilletons à l’eau de rose) à la télévision. Les salles diffusent de moins en moins de films brésiliens et les réalisateurs se tournent vers les court-métrages dans lesquels ils glanent quelque reconnaissance. Une nouvelle ère est à écrire.

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