Régulièrement en crise, souvent menacé de disparition, le cinéma brésilien a la vie dure. Il faut dire que ses racines plongent à la fin du XIXe siècle et en font un art fermement implanté dans la vie culturelle du pays.
Fruit d’une série de recherches sur l’image en mouvement, le cinématographe fut inventé en 1891 par l’américain Thomas Edison, aidé de son assistant Laurie Dickson. Mais ce sont les frères français Louis et Auguste Lumière qui le popularisèrent réellement en proposant les premières projections publiques sur grand écran en 1895.
Les débuts du cinéma brésilien
Premiers claps
La nouvelle de cette invention scientifique, technologique et artistique ne tarda pas à traverser l’Atlantique Sud : un an plus tard, une projection avait lieu dans la ville de Rio de Janeiro au Brésil, et en 1897, une salle de cinéma (le Salao de Novidades Paris) ouvrait dans la même ville. Le Brésil se positionnait ainsi comme un pays en pleine évolution, affichant clairement son désir de modernité, même si elle venait d’Europe ou d’Amérique.
Le premier film officiellement brésilien fut tourné en 1898 sur un bateau venant du vieux continent. Vista da baia da Guanabara était l’œuvre d’un immigré italien, Alfonso Segreto, mais on oublia très vite son pays d’origine pour en faire un vrai brésilien, et déclarer le 19 juin comme « Jour du Cinéma Brésilien » : c’est effectivement à cette date que le film fut officiellement projeté à Rio.
Le son avant l’heure
Très vite, la fièvre de la pellicule va gagner la capitale de la « République des Etats-Unis du Brésil », comme on appelle le pays en ces temps-là (Rio perdra en 1960 le titre de capitale au profit de la nouvelle Brasilia). Dès le début du XXe siècle, de nombreuses salles ouvrent dans la ville, projetant principalement des fictions venues d’Europe et des Etats-Unis.
Parallèlement, un courant de création purement brésilienne fait naître ce qu’on appelle les « films posés », transpositions assez primaires de délits et crimes défrayant la chronique. Le premier d’entre eux est Os Estranguladores, de Francisco Marzullo, sorti en 1906 et qui recueillit un grand succès populaire.
Les films « chantés » apparaissent dans la foulée. A cette époque, bien entendu, pas de possibilité technique de son : on installe donc les acteurs-chanteurs derrière l’écran pour obtenir un doublage en direct, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Autre spécificité de l’époque, l’adaptation à l’écran d’œuvres littéraires.
Ce genre va obtenir également les faveurs du public, mais tous ces mouvements recèlent en leur sein une cruelle faille : le manque de véritable fiction construite sur un scénario original va rapidement être ressenti comme un problème majeur par les spectateurs, surtout dans les années 1910 avec l’arrivée des films nord-américains.
Dès ces années-là, l’industrie hollywoodienne adopte une politique agressive d’exportation et apporte au monde entier sa vision du divertissement (le fameux Entertainment). Le public brésilien se détourne alors progressivement des productions locales pour succomber aux ancêtres des « blockbusters » actuels.
Dès la fin de la première guerre mondiale, des réseaux de distributions sont créés à Rio, à São Paulo, Rio de Janeiro, Niterói, Belo Horizonte et Juiz de Fora pour favoriser la projection des films étrangers, américains pour l’immense majorité. Au détriment du cinéma brésilien, bien entendu.
Le remède des douanes
Devenu omnipotent, le cinéma américain des années vingt inonde de marché mondial… et donc brésilien. L’avènement du parlant en 1927 donne l’occasion au Brésil de produire deux ans plus tard son premier film parlant, Acabaram-se otários (1929) de Luiz de Barros, mais le combat face à la machine de guerre américaine est trop inégal. Seule une mesure extra-artistique draconienne pourrait redonner vie au cinéma national agonisant.
C’est ainsi qu’en 1930, une loi est votée, soumettant les films nord-américains à une taxe douanière exceptionnelle !
La mesure se révèle relativement efficace les premières années, et plus de trente films brésiliens sont produits en deux ans par des maisons de production nouvellement créées. Considéré comme l’un des plus grands réalisateurs brésiliens de l’avant-guerre, Humberto Mauro profite de ce mouvement pour réaliser en 1933 ce qui sera considéré comme son chef-d’œuvre, Ganga bruta.
Ce film réaliste, basé sur la violence des sentiments, et empreint d’un certain érotisme, ne rencontre toutefois pas son public et son auteur se tournera ensuite vers la comédie musicale, avant de se consacrer au documentaire. Cette histoire personnelle peut illustrer le nouveau marasme dans lequel le cinéma brésilien va enter.
Malgré les taxes douanières, les Américains intensifient leurs investissements dans la publicité et le matériel au Brésil. Mais surtout, leur cinéma en plein essor avec ses stars mondiales impressionnent les distributeurs et le public. Dès lors, le cinéma local se remet à singer le modèle hollywoodien, avec des productions musicales mièvres et sans saveur qui détournent définitivement les Brésiliens de leur cinéma.
La deuxième partie des années trente est à ce niveau catastrophique pour la créativité cinématographique au Brésil. La courte embellie du début de la décennie semble déjà très loin…
La rechute
Lors du deuxième conflit mondial, les salles obscures du pays se contentent de passer ce qui provient d’Hollywood et boudent ostensiblement les très rares productions brésiliennes. Vers la fin de ces années quarante, un groupe d’investisseurs et de banquiers de São Paulo décide de prendre le taureau par les cornes et de tout faire pour la promotion hors des frontières d’un nouveau cinéma brésilien.
De magnifiques studios sont construits à Vera Cruz dans l’état de Bahia, proposant un équipement de dernier cri aux réalisateurs. Ceux-ci viendront à la « Cinematográfica Vera Cruz », mais principalement d’Europe.
Une quinzaine de westerns ou policiers (genre très en vogue au début des années cinquante) seront tournés, mais des problèmes de distribution auront finalement raison de l’existence même de ces nouveaux outils : les studios Vera Cruz mettent la clé sous la porte au milieu des années cinquante, entraînant dans leur chute les quelques studios indépendants qui s’étaient montés dans leur sillage.
Parallèlement, une autre maison de production, « l’Atlântida Cinematográfica » spécialisée dans les comédies musicales, les « chanchandas », fit les beaux jours des salles de cinéma brésiliennes dans ces années d’après-guerre.
Le public appréciait, de grands artistes lyriques firent même des passages dans ces productions, mais une critique sévère et – une fois encore – la comparaison sans appel avec le niveau des « musicals » hollywoodiens et ses immenses vedettes condamnèrent définitivement le genre.
Le tableau pouvait paraître bien sombre – et il l’était ! – mais ces nouveaux échecs seront l’électrochoc pour l’éclosion d’un genre nouveau que le public et la critique attendaient, et qui obtiendra enfin la reconnaissance internationale : le Cinema Novo.