La dramaturgie à la brésilienne

A l’inverse de la vieille Europe, le théâtre est un art qui ne s’est réellement développé au Brésil que dans les siècles récents.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existait pas dans les civilisations primitives. Il fut d’abord de tradition orale et tribale, avant d’être structuré sous la férule de la religion, puis de prendre son essor définitif plus récemment.

peinture rupestre indigène représentant des silhouettes faisant des acrobaties.

Le carcan du théâtre baroque dans le Brésil colonial

 

Il n’y a évidemment aucune certitude, aucun témoignage. Mais l’étude des peintures rupestres sur les sites précolombiens, notamment celles du parc de la Serra do Capivara, montrent des gens regroupés écoutant un homme parler. Cet homme devait raconter sa partie de chasse ou bien son terrible combat contre un ennemi ou un animal. Il avait son public, attentif, qui devait vibrer aux accents dramatiques de la scène. La notion de théâtre était née. Bien faible, mais réelle. Les rites avec les costumes et peintures que découvrirent les premiers colons an posant le pied sur le sol de ce qui deviendrait le Brésil participent également de cette tradition. Mais, ce sont bien évidemment les nouveaux arrivants qui vont implanter au XVIe siècle la notion même de théâtre avec la naissance du mouvement baroque.

Dans leur volonté de « civiliser » les « sauvages » qu’ils découvrent sur ce continent inexploré, les jésuites portugais s’appuient totalement sur la religion pour construire des œuvres à caractère théâtral. Comme ils le feront avec le chant, la littérature ou la peinture. Les pères Francisco Lang, mais surtout José de Anchieta, sont considérés comme les dramaturges les plus influents du théâtre baroque. Bien que l’intrigue de leurs pièces soit directement inspirée de la catéchèse catholique, et qu’en l’absence de salle la représentation se déroule en plein air, l’essence même de l’acte scénique prend corps.

Bientôt, le public s’élargit : des seuls Indiens, il s’ouvre à toute la population. Les textes restent simples, car beaucoup de gens ne parlent pas le portugais. Et il est impératif que tout le monde comprenne car c’est avant tout un devoir d’évangélisation qui est entrepris là. On utilise même des marionnettes dans un but plus ludique.

Outre la religion, le théâtre baroque fait aussi l’éloge des autorités civiles et militaires. Il n’a pour l’instant aucune latitude et est corseté dans un carcan qui ne doit son existence qu’à son lien étroit avec le pouvoir.

Vue intérieure du premier théâtre du Brésil, à Ouro Preto dans le Minas Gerais.

Da Silva chantre du théâtre profane

 

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir une évolution vers une plus grande liberté, à défaut d’une grande créativité. Cette liberté va arriver avec l’importation d’un répertoire européen, mais surtout la création des premières salles de Théâtre. Le théâtre municipal d’Ouro Preto, est ainsi érigé en 1770, et demeure à ce jour la plus vieille salle d’Amérique du Sud encore en activité. Un théâtre avait été construit antérieurement à Rio, l’Opéra de Padre Bonaventura en 1747, mais il fut détruit.

On y joue principalement des auteurs tels Molière, Goldoni, Voltaire, Corneille, mais aussi locaux comme António José da Silva, dit le juif, qui vont apporter la notion de théâtre profane. Bien que né au Brésil mais ayant fait ses études au Portugal où il écrivit la majorité de ses pièces, Da Silva est considéré comme un des tous premiers dramaturges ayant pris ses distances avec le dogme catholique. Il le paiera de sa vie, victime de l’inquisition portugaise.

Gravure noir et blanc dune représentation de théâtre, époque romantique au Brésil.

Les quatre genres du théâtre romantique brésilien

 

Au XIXe siècle, le théâtre suit siècle le romantisme, ce mouvement nouveau qui préconise un art résolument national, suite à la déclaration d’indépendance du Brésil en 1822. Il s’agit avant tout de rompre les liens avec la vieille Europe. Des auteurs brésiliens vont émerger et structurer définitivement l’art scénique. La notion de « genre théâtral » apparaît alors : le drame, le mélodrame, la tragédie néo-classique et la comédie de mœurs.

Le drame recueille d’emblée les faveurs du public. La célèbre pièce O Poeta e a Inquisição de Gonçalves de Magalhães, racontant les derniers jours de la vie de l’auteur António José da Silva évoqué un peu plus haut, est un grand succès et peut être considérée comme la première pièce originale du théâtre brésilien. Mais le drame austère est vite remplacé dans le cœur du public par le mélodrame à l’intrigue bourrée de coïncidences et de rebondissements hautement improbables, mais tellement accrocheurs. Le plus célèbre des auteurs de mélodrames de cette époque est sans conteste António Gonçalves Dias qui fut membre de l’Académie brésilienne des lettres. On pourra peut-être voir dans cette passion pour ces pièces ébouriffantes l’origine de l’amour des Brésiliens pour les actuelles novelas télévisuelles.

La tragédie n’a guère laissé de traces dans les textes, à l’inverse de la comédie. Genre populaire par excellence, elle est d’abord incarnée par Martins Pena. Auteur d’une trentaine d’œuvres, ses pièces décrivent avec humour les travers de la société de son époque. Il fera des émules avec Joaquim Manuel de Macedo et, plus tard, França Júnior et Artur Azevedo qui s’attacheront à produire ce qu’on appelle des comédies de mœurs.

Photographie noir et blanc de la scène et des spectateurs durant une pièce de Gianfrancesco Guarnieri.

Le théâtre moderne au Brésil

 

Le théâtre poursuit sur sa lancée romantique dans la première moitié du XXe siècle et n’offre pas d’évolution majeure. La discipline est même absente de la fameuse Semaine d’art moderne qui se tient en 1922 à Saõ Paulo, c’est dire ! Bizarrement, un des fondateurs de la Semaine n’est autre que Oswald de Andrade, poète et dramaturge, père du modernisme brésilien : il écrira en 1933 O Rei da Vela, une pièce-manifeste sur les méfaits du capitalisme suite à la crise de 1929. Ce brûlot sera surtout le point de départ des mouvements théâtraux d’après-guerre très fortement influencés par l’aspect social et politique de la société brésilienne.

Dès 1944, le Théâtre Noir Brésilien positionne le spectateur face à un des fléaux historiques – et tabou – du pays depuis sa création par les Portugais au début du XVIe siècle : l’esclavage et son corollaire, la discrimination raciale. Mais c’est surtout la naissance en 1948 du Teatro Brasileiro de Comédia (TBC), avec celle de l’École d’Art Dramatique dans la foulée, qui donne l’impulsion définitive vers le théâtre moderne au Brésil. De nombreux auteurs locaux comme Abílio Pereira de Aeida, Edgard da Rocha Miranda, ou Gonçalves Dias vont représenter l’avant-garde culturelle théâtrale prônant la rupture des codes établis.

Autre balise dans l’évolution du théâtre contemporain, celle de la création en 1953 par le dramaturge Augusto Boal du Teatro de Arena. Boal propose de monter des pièces à moindre coût, plus en phase avec la réalité économique de certaines franges de la population. Le succès en 1958 de la pièce Eles não usam Black-Tie (Ils ne portent pas des cravates noires) de Gianfrancesco Guarnieri ouvre la voie vers la création de nombreuses troupes théâtrales de par le pays, comme le Teatro Oficina de José « Zé » Celso. Dès lors, les initiatives se multiplient, toujours plus radicales, certaines reprochant même au TBC, ou même à l’Arène, de manquer de clairvoyance par rapport à la misère grandissante chez les déshérités du pays.

Acteurs jouant une pièce de théâtre contemporain au Brésil.

Le théâtre brésilien durant la dictature et après

 

Ce courant revendicateur suit en fait la politique appliquée par les présidents Kubitschek puis Goulart sur les demandes sociales et culturelles d’un pays inégalitaire en mutation. Autant dire qu’avec l’avènement de la dictature militaire en 1964, tous ces mouvements s’écroulent sous la répression des nouvelles autorités, répression renforcée en 1968 par l’Acte Institutionnel n° 5 Comme dans les autres formes d’art, certains auteurs se soumettent, d’autres font leurs valises vers des horizons plus cléments.

Durant les vingt ans que durera l’emprise des généraux sur le pays, les auteurs de théâtre étant restés sur place choisiront pour la plupart un langage biaisé, d’apparence lisse mais où la contestation se cache derrière une écriture métaphorique. Le discours veut témoigner de la réalité sociale et politique du pays, comme dans Longa noite de Cristal (La longue nuit de Cristal) de Oduvaldo Vianna Filho, plus connu sous le nom de Vianinha. On notera toutefois que, malgré la censure, nombres d’artistes parviendront à survivre, voire vivre, dans ce Brésil devenu inhospitalier pour eux. Vianinha lui-même fera une belle carrière à la télévision comme créateur de série à succès, avant sa mort prématurée en 1974.

Certains auteurs exilés profitent d’un assouplissement de la dictature dans les années soixante-dix pour revenir au pays et monter de nouveaux projets. Augusto Boal et Zé Celso font, eux, renaître leurs théâtres fermés à leur départ, respectivement le Teatro de Arena et le Teatro Oficina (qui existe toujours). La dramaturge Ruth Escobar fonde à Saõ Paulo le premier Festival International de Théâtre en 1974, et de nouvelles formes artistiques prennent corps à l’aube des années quatre-vingt. Le Grupo Ferramenta de Teatro et le Forja, soutenus par un syndicat métallurgiste, parviennent à faire jouer des textes engagés, lus par des ouvriers-acteurs.

Ainsi va le théâtre au Brésil : dans un pays majoritairement de droite, il reste fermement engagé à gauche. Son argument ultime est que, à l’inverse de toutes les autres formes d’art littéraires, le théâtre permet d’avoir un contact immédiat avec le public et d’ouvrir un réel débat sur la réalité de la société.

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