Du folklore poétique régional à l’engouement national

Le Forró est un style musical originaire du Nordeste du Brésil, indissociable de la danse populaire qui embrase dorénavant le Brésil tout entier.

Considérée longtemps comme un folklore rural désuet, cette musique de bal porte en elle la nostalgie poétique d’une vie régionale rythmée par les sécheresses.

Xilographie représentant un orchestre de Forro et des danseurs dans le Nordeste du Brésil.

Le forró: la complainte joyeuse des travailleurs ruraux

 

Croisement entre les percussions indiennes et la musique populaire portugaise, le forró s’est tout d’abord implanté dans le Nordeste du Brésil, dans les états secs et pauvres du Sertão. Cette musique joyeuse et alerte se base essentiellement sur la zabumba (grosse caisse plate) alliée à l’accordéon et au triangle, deux instruments européens qu’on retrouve dans les « corridinhos », ces danses enjouées de l’Algarve, dans le sud du Portugal.

Accompagnant les festivités de la Saint-Jean depuis le XIXe siècle, le forró est une musique entraînante et vive qui invite naturellement à la danse. Mais pas que ! Ses chansons parlent d’amour, parfois assez crûment, mais surtout de cette terre du Sertão, pauvre et craquelée par le soleil ardent du Nordeste. Autant la samba et la bossa nova sont typiques des plaisirs du sud du Brésil, autant le forró exprime les douleurs et les difficultés liées à cette région défavorisée du Brésil.

Le Nordeste a toujours développé un particularisme lié à un vieux rêve d’état-nation, plus ou moins indépendant du reste du pays, et a donc logiquement poussé en avant « sa » musique. Le forró n’est pas pour autant resté confiné aux frontières du Sertaõ : il a voyagé avec les ouvriers fuyant la misère du Nord et partant chercher meilleure fortune vers les chantiers des grandes mégalopoles du Sud, Brasilia, Rio ou São Paulo. Grâce à ces travailleurs nordestins exilés, le forró perdit peu à peu cette réputation de musique campagnarde, séduisant les populations urbaines entrainées par cette danse de couple sensuelle.

Le forró, le chant des migrants climatiques du Nordeste

 

Cousin de la poésie des « repentistas », ces chanteurs de complaintes qui parcouraient le Nordeste pour y improviser des vers en s’accompagnant d’une viola – guitare à sept cordes métalliques, le forró est une critique sociale en même temps qu’une musique de bal, avec ses ironies amoureuses, ses propos salaces et ses gestes suggestifs. Les textes parlent souvent des luttes féroces entre les bandits d’honneur, les « congaceiros » et les grands propriétaires terriens, les « coroneis ». Des histoires de « cowboys du Nordeste » en somme, qui serviront largement d’inspiration aux cinéastes de la nouvelle vague du Cinema Novo. Certains films, comme Les Fusils de Rui Guerra, en deviendront des œuvres majeures et participeront à la diffusion du forró au-delà des frontières du Brésil.

La plus iconique des chansons du forró, Asa Branca, parle de tout cela. Composée par Humberto Texeira (qui deviendra député) et Luiz Gonzaga, elle décrit cette dureté de la vie dans ce Sertão grillé par le soleil : « Quel brasier, quelle fournaise/ Pas un pied de plantation/ Par manque d’eau/ J’ai perdu mon troupeau… » chantait Luis Gonzaga, dans « Asa Branca », hymne nostalgique du déraciné.

Luiz Gonzaga avait été à l’origine du « baião », musique dansante aux mélodies héritées des mélopées médiévales transmises par les troubadours de Galice au XIIIe siècle. Le baião fut détrôné dans les années soixante par la bossa nova triomphante, mais Gonzaga avait d’ores et déjà assuré sa popularité éternelle dans tout le pays grâce cette chanson sortie en 1947. Asa Branca fut considérée par beaucoup comme une sorte d’hymne du Nordeste, et lorsque Luiz Gonzaga décéda en 1989, sa mort fut si durement ressentie que trois jours de deuil furent décrétés.

photo d'un groupe de forro moderne du Brésil.

Le forró aujourd’hui

 

Après avoir été éclipsé par les nouvelles formes musicales en vogue, le forró revint à l’orée des années 2000 comme une alternative festive à la samba de Rio. Les pas de danse, deux pas à gauche, deux pas à droite, du forró original, se doublent dans les années 90 d’un « forró universitario ». Plus chorégraphié et influencé par la lambada ou la salsa, le forró s’adjoint des instruments plus modernes grâce à des groupes comme Falamansa ou Rastapé.

Même si le traditionnel forró a depuis certaines années été supplanté dans le cœur de beaucoup de Brésiliens par sa variante, la Sertaneja, il demeure vivant, spécialement dans le Nordeste lors des fêtes religieuses ou païennes. Dans les années 2000, l’apparition du forró electrônico, avec l’introduction d’instruments électroniques modernes, a redonné un élan nouveau à cette musique avec de nouveaux artistes, comme Luan Santana ou Simone & Simaria.

En France, le forró a également trouvé ses « passeurs » : connaissant parfaitement le Brésil, Bernard Lavilliers a notamment employé l’accordéon et le triangle pour son morceau Sertão, et le groupe toulousain des Fabulous Trobadors s’appuyait régulièrement dans ses chansons sur les rythmes et sonorités du Nordeste, faisant ainsi une liaison plus ou moins consciente avec leurs « ancêtres » galiciens du Moyen-Âge mentionnés plus haut.

Le forró reste néanmoins une musique très ancrée dans l’histoire du Brésil, et de grands artistes mondialement reconnus comme Caetano Veloso ou Gilberto Gill affirment bien haut leur dette envers le forró. « Monsieur le ministre » Gil n’a-t-il d’ailleurs pas été accordéoniste dans sa jeunesse avant de devenir le guitariste que l’on sait ?

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