Ce n’est pas seulement un film, c’est un message. Un message qu’entendent tous les gens fatigués d’un système gangrené et corrompu où la loi du plus fort doit faire plier les plus faibles. Mais la grande force du film est ne justement pas sombrer dans le manichéisme facile.
L’onde de choc Aquarius a débuté en mai à Cannes et est en train de secouer le Brésil tout entier.
Il aurait effectivement été plus facile d’écrire une histoire sur de gros méchants hommes d’affaires harcelant de pauvres habitants d’une favela. Pour son deuxième film après Les Bruits de Recife, Kleber Mendonça Filho a choisi de tracer le portrait d’une femme intellectuelle, appartenant à la bourgeoisie brésilienne, en but à la cupidité d’un promoteur sans scrupules voulant lui acheter coûte que coûte son appartement pour laisser place à de nouveaux et juteux projets immobiliers.
Cannes le détonateur
Il n’y a plus personne dans l’immeuble Aquarius de Recife. Un promoteur a racheté tous les appartements. Tous ? Non, un seul résiste encore à l’envahisseur, pour paraphraser les aventures d’un célèbre petit Gaulois français : une sexagénaire critique d’art et de musique, Clara, refuse catégoriquement de céder son bien au promoteur cupide, même pour les sommes rondelettes que celui-ci lui propose.
Les propositions vont virer au harcèlement le plus lourd et Clara va endosser le rôle de résistante acharnée et déterminée. Le message est clair et dépasse le simple cas de cette femme libre : même les gens de la classe moyenne, voire aisée, seront touchés par les excès du néolibéralisme si on ne fait rien.
Au travers cette histoire somme toute assez banale, Kleber Mendonça Filho choisit de tracer un portrait tout en nuance d’une femme de caractère qui représente l’idéal de culture et d’instruction vers lequel devrait tendre tout être désireux de s’élever, et contre lequel se dressent des gens qui n’ont que faire de cette ouverture qui ne peut que contrecarrer leurs plans d’enrichissement rapide. Le fait que son œuvre ait été sélectionnée pour le festival de Cannes en mai dernier fut une première victoire pour Mendonça Filho.
La deuxième fut que le film ait été extrêmement bien reçu, mais surtout que les correspondants brésiliens sur place se soient affrontés publiquement, ceux qui défendaient le propos pertinents du réalisateur et ceux, proches des médias privés, qui déploraient « l’image désastreuse » que ce film allait causer auprès des étrangers à quelques semaines des JO de Rio !
La troisième victoire fut, qu’après que ces joutes verbales aient été relayées jusqu’au Brésil par les réseaux sociaux, le public brésilien s’est déplacé en masse dans les salles et a réagi de façon vibrante à ce long métrage inédit.
Sonia Braga la rebelle
Dans certaines salles, le public a applaudi à tout rompre une fois les dernières images projetées, et a hurlé : « Non au coup d’état », ou « Temer, dehors », faisant allusion à l’éviction (très) discutée de la présidente Dilma Rousseff au profit de son vice-président Michel Temer quelques mois auparavant. Cette affaire significative de la dérive des institutions reste en travers la gorge de beaucoup de gens écœurés par la corruption généralisée dans les hautes instances brésiliennes. Et Aquarius est ressenti comme une cinglante allégorie de toutes ces manipulations guère reluisantes.
Le fait que le metteur en scène ait confié le rôle de Clara « la rebelle » à Sonia Braga, vedette immensément populaire qu’on a vu dans des films tels Dona Flor et ses deux maris, contribue naturellement à cette empathie du peuple pour cette femme harcelée jusqu’à l’extrême par ce promoteur douteux, et décidée à se battre jusqu’au bout pour préserver son bien, cet appartement qui renferme tous ses trésors acquis tout au long d’une belle carrière.
Kleber Mendonça Filho se place dans la lignée du cinéma brésilien revendicatif et dénonciateur. Mais sa particularité est d’avoir choisi cette héroïne « bourgeoise et artiste », et non des laissés pour compte de quartiers défavorisés, ainsi que sa ville de Recife, en lieu et place des grandes mégalopoles, classiques théâtres filmés des exactions les plus désespérées.
Comme Almodovar (qu’il admire) qui a ancré son cinéma des débuts dans Madrid, Mendonça Filho reste viscéralement attaché à Recife dont il dirige un festival qu’il a monté il y a quelques années dans un vieux cinéma de quartier, menacé lui-aussi de destruction… comme l’immeuble Aquarius. Le public fait la queue pour voir son film de résistance et l’onde de choc partie de Recife pourrait balayer tout le territoire brésilien. C’est bien ce que souhaite Kleber Mendonça Filho.
Pour aller plus loin, retrouvez l’interview de Kleber Mendoza au festival de cannes 2016 (en anglais):
http://www.festival-cannes.com/fr/actualites/videos/aquarius-de-kleber-mendonca-filho-1